Un moment protestant de l’Institut. Le concours de l’an X sur la réformation de Luther

Cycle de conférences à l’Institut de France

 

Mercredi 12 décembre 2018. 18-19 h.

Patrick CABANEL, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, titulaire de la chaire Histoire et sociologie des protestantismes.

De Charles de Villers à la génération Ferry, la longue crise allemande de la pensée française. 

La conférence s’inscrit dans la lignée de l’ouvrage classique de Claude Digeon, La crise allemande de la pensée française (1871-1914) (1959). Elle se propose d’élargir la période de cette crise créatrice à l’ensemble du XIXe siècle, avec Charles de Villers et Germaine de Staël pour initiateurs, avec Iéna pour paradigme de la défaite fondatrice (les Discours à la nation allemande de Fichte sont traduits au lendemain de Sedan). A moins que cette crise ne soit protestante plus qu’allemande, si tant est que bien des esprits de l’époque soient capables ou désireux de ne pas faire de ces deux adjectifs des « synonymes ». On se risquera à introduire l’hypothèse d’une « Allemagne cachée » ou d’un « protestantisme caché » dont la France cultiverait malgré elle le désir ou la nostalgie, au XIXe siècle et peut-être plus près de nous encore.

 

Lundi 14 janvier 2019. 18-19 h.

Barbara de NEGRONI, agrégée de philosophie, professeur de Khâgne au lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen.

De la religion prétendue réformée à la tolérance prétendue inutile : le statut des protestants en France de l’édit de Fontainebleau à 1787.

On a régulièrement considéré en France que les protestants, loin d’avoir opéré la réforme morale dont l’Église avait besoin, avaient mis en œuvre une révolution, sapant les fondements essentiels du christianisme ; c’est la raison pour laquelle leur religion a été systématiquement qualifiée de « religion prétendue réformée », religion qui n’a pu faire l’objet que d’une tolérance — supporter ce qu’on n’a pas les moyens d’empêcher— qui est mise en œuvre dans l’Édit de Nantes. Toute la politique menée sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV a conduit à grignoter progressivement les droits des protestants et à provoquer des conversions intéressées, voire contraintes. Il a donc été possible de considérer en 1685 qu’il n’y avait plus de protestants en France, et que l’édit de Nantes pouvait donc être abrogé puisqu’il ne concernait plus personne. La tolérance devenait ici inutile puisqu’il n’y avait plus personne à tolérer : tous les prétendus réformés étaient devenus de nouveaux convertis. C’est ce tour de passe-passe rhétorique que nous voudrions analyser : quelles ont été les conséquences de cette absence totale de tolérance pour les protestants qui vivaient encore en France ? Qu’en est-il de leur état-civil, les fonctions d’état civil étant assumées au XVIII siècle par le clergé ? Qu’en est-il de leur pratique religieuse ?

 

Jeudi 24 janvier 2019. 18-19 h.

André ENCREVE, professeur émérite à l’université de Paris-Est Créteil.

Les protestants de l’an X.

Au début du XIXe siècle, les protestants français sortent d’un siècle de persécutions (1685-1787), et de dix années de révolution, ce qui ne saurait être sans conséquences. Mais l’épisode révolutionnaire leur a tout de même apporté l’essentiel : la liberté de culte et l’égalité civile. Certes, les Articles organiques des cultes protestants, signés par Bonaparte le 18 germinal an X, ne leur permettent pas de reconstituer leurs Eglises telles qu’elles existaient avant 1685. Il reste qu’ils leur offrent une reconnaissance officielle, ce qui n’est pas négligeable. Mais cela fait-il d’eux des « bonapartistes » dans le domaine politique ? Tel n’est pas véritablement le cas. En fait, ils se concentrent surtout sur le redressement de leurs Eglises, avant d’utiliser la liberté qu’on leur a promise pour tenter d’annoncer aux non protestants l’Evangile tel qu’ils le comprennent.

 

Jeudi 7 février 2019. 18-19 h.

Brigitte KRULIC, professeure à l’université de Paris Nanterre.

Luther « le Chérusque », héros fondateur de l’imaginaire national germanique.

La traduction en allemand de la Bible, commencée par Luther à la Wartburg, constitue l’acte inaugural de l’émergence d’un imaginaire « national » germanique. Cet épisode fondateur s’inscrit dans un mouvement amorcé plusieurs décennies plus tôt, avec la redécouverte des manuscrits de Tacite, prélude à la cristallisation du mythe d’Arminius : le Chérusque vainqueur des légions de Varus est érigé en héros fondateur du peuple (Volk). C’est à Luther que l’on attribue communément la germanisation d’Arminius en Hermann (« l’homme de l’armée »). Le guerrier des forêts germaniques sert efficacement la formidable dramaturgie de la Réforme, par effets de miroir et surimpression d’images. Luther en a donné lui-même une célèbre illustration dans ses Propos de table : « Ita nunc Luther Cheruskus, eyn Hartzlander, Romam devastat ». Ainsi s’esquisse, dans cette entité mal définie qu’est le Saint-Empire, une continuité qui fonctionne comme principe d’intelligibilité : à la Rome des Césars succède la Rome des papes, à la Germanie antique le Saint-Empire, dans une vision qui oppose la liberté germanique à la volonté hégémonique de l’« étranger », incarné par les peuples latins ou néo-latins, le clergé corrompu à un peuple fidèle à ses vertus ancestrales. Valorisation de la langue vernaculaire, exaltation de la liberté du chrétien, détachée de toute visée politique et sociale, la Réforme modèle en profondeur l’éveil d’un imaginaire national défini en-dehors de la référence étatique. Elle pose les fondements de la conception ethnoculturelle de la nation, élaborée par les Lumières allemandes en réaction contre l’universalisme « importé », conception qui s’articule autour des notions de Kultur, d’« intériorité » et de « caractère national » incarné dans la langue maternelle. Les guerres napoléoniennes réactivent le schéma identitaire tracé à l’époque de la Réforme, dont on retrouve l’influence dans les interprétations culturalistes de la « voie particulière » (Sonderweg), au lendemain de la « catastrophe allemande » du XXe siècle.

 

Jeudi 21 février 2019. 18-19 h.

Willem FRIJHOFF, professeur émérite à l’université de Rotterdam.

« Entre l’Édit de Nantes et sa Révocation : la communauté des négociants néerlandais à Rouen face aux divisions religieuses ».

Rouen, seconde ville de France au 17e siècle, caractérisée par un catholicisme militant, hébergeait aussi une communauté considérable de réformés, qui devaient pratiquer leur culte hors la ville, dans le temple de Quevilly. L’historiographie s’est surtout intéressée aux intellectuels parmi eux, mettant l’accent sur leur orthodoxie, mais la communauté réformée englobait aussi de nombreux négociants néerlandais, parmi lesquels des remontrants qui après le Synode de Dordrecht y avaient cherché refuge, voire avec des catholiques. En somme, un paysage religieux pluriconfessionnel complexe et nuancé, aux changements confessionnels bien visibles, mais où la communauté d’origine et la branche du négoce prime bien souvent le choix religieux, y compris parmi les catholiques.