L’Ami de la Jeunesse et des Familles : un exemple de périodique destiné à la jeunesse au XIXe siècle et au début du XXe siècle. (1/2)

L’Ami de la Jeunesse et des Familles est une revue récréative et instructive publiée entre 1825 et 1913, lancée par la Société des Traités Religieux de Paris. Ce périodique protestant, dont la parution s’est faite une à deux fois par mois en fonction de la période de publication, se positionne comme une « bonne lecture » à destination en particulier des adolescents, mais également à « tous les lecteurs ayant quelque culture »[i]. Cette revue est l’une des premières revues protestantes illustrées et son contenu, varié, évolue en fonction du contexte historique. Elle était soit distribuée par des œuvres protestantes, comme le Comité du patronage des apprentis de l’Église réformée – qui la distribuait au public présent lors de ses conférences instructives à Paris – soit par abonnement, soit vendue en volume en fin d’année[ii]. On retrouve, parmi les rédacteurs de la revue, les grands noms du protestantisme français, tels que Edmond de Pressensé, la famille Monod, ou encore la famille Coquerel.

 

Une revue morale à destination des jeunes

 

La revue est lancée par la Société des Traités Religieux de Paris (fondée en 1822), société d’édition à but d’évangélisation, c’est-à-dire dont le but est de « répandre soit à bas prix, soit gratis, des petits écrits qui présentent sous des formes variées les vérités les plus importantes et les plus belles leçons du christianisme telles qu’elles sont renfermées dans l’Évangile »[iii]. L’équipe de rédaction fait ainsi paraître également L’Almanach des bons conseils, lecture très prisée alors. De 1825 à 1854, la revue est éditée dans un format assez petit (in-12), chez le libraire Henri Servier puis chez Risler et enfin chez L. R. Delay[iv], qui sont issus du milieu protestant.

Le tout premier article en 1825, intitulé « Le danger des mauvais livres » constitue, comme cela revient souvent dans les périodiques destinés à la jeunesse, une sorte d’introduction des objectifs de la revue, qui fait face à un monde dont la décadence semble se manifester, entre autres, par les « mauvais livres ». Il s’agit ici pour L’Ami de la Jeunesse de se présenter comme une revue de qualité, honnête et morale face à ces ouvrages contenant « le poison de l’immoralité », trompeurs et dont « [le] premier effet est d’ôter le goût de ce qui est solide est vrai ». Si « le goût de la lecture est le goût général, le besoin [du] siècle », L’Ami de la Jeunesse se veut le protecteur de l’âme de ses lecteurs, en encourageant à lire la Bible – à travers des « éclaircissements de passages bibliques » et divers « récits édifiants » – mais également à « choisir dans les divers auteurs ce qu’ils ont de plus estimable et de plus sain » grâce aux morceaux choisis et poésies. Cependant, dans cette première période, marquée par la Restauration, les Trois Glorieuses, la révolution de 1848 et la Seconde république, la revue porte davantage l’accent sur la dimension morale de sa mission.

 

 

Une revue qui voit son format s’agrandir avec son public

 

Le premier tournant se fait en 1855-1856. Sous la direction du pasteur Jean Marie Martin Isidore Armand-Delille (1811-1890), le périodique change de nom pour devenir L’Ami de la jeunesse et des familles, ainsi que de format pour passer à l’in – 4 : ce format plus imposant est permis par l’augmentation des abonnés et permet une plus grande qualité de la revue, et surtout une plus grande lisibilité de son contenu. Il change également de fréquence en 1856, sous la direction d’Adam Vulliet, puisque de bimensuel, paraissant « en livraison de 8 pages in-4° », il devient mensuel et est livré « en une seule livraison de 16 pages du même format, avec gravures et revêtu d’une couverture de couleur imprimée et sans être plié ».

L’éditorial de L’Ami de la Jeunesse et des Familles par le pasteur Armand-Delille en 1855 est riche d’informations. Il appuie la légitimité de la revue sur le fait que celle-ci existe depuis 1825, et que l’équipe rédactionnelle est composée de « pères chrétiens », qui ont à cœur de donner aux enfants une lecture « édifiante » mais aussi adaptée à la jeunesse. L’ajout apporté au titre n’est pas gratuit : en effet, la revue ne se veut plus seulement L’Ami de la jeunesse, elle veut se donner une place au sein de la famille, en « créant en intérêt commun au sein de la famille » et en « réunissant tous [ses] membres autour de la lampe de travail»[v]. La dimension morale reste donc importante, mais la revue se veut plus moderne, plus ambitieuse, en rajoutant par exemple l’histoire contemporaine dans son programme rédactionnel, un contenu pédagogique plus complet, avec des récits de voyages, des articles sur les découvertes récentes, de science… La revue veut ainsi enrichir et compléter l’instruction donnée dans les écoles, et ce toujours dans une perspective évangélique.

En effet, il faut rappeler que l’école primaire n’est ni gratuite, ni laïque, ni obligatoire avant les lois de Jules Ferry de 1881-1882. La Société pour l’Encouragement de l’Instruction Parmi les Protestants de France  (SEIPPF) dresse un bilan alarmant de l’alphabétisation des français, « et particulièrement chez les protestants disséminés » : sous la Restauration, la séparation confessionnelle des écoles est « gravement dommageable aux protestants partout où ils ne vivent pas en groupes compacts » et ne sont donc pas capables d’organiser et de financer des écoles protestantes. L’alternative est donc de rejoindre les écoles catholiques existantes, ce à quoi se refusent les familles protestantes qui ne veulent pas que leurs enfants fassent l’objet d’une « reconquête » religieuse[vi]. L’Ami de la jeunesse a donc participé à ce mouvement parallèle pour une instruction morale chrétienne et protestante, en servant notamment, « (de) 1825 à 1827 (…), de plateforme d’information pour les toutes premières EdD  [Écoles du Dimanche] connues de la rédaction »[vii]. Par la suite, malgré les lois sur l’instruction de Guizot (1833), qui reconnaît la liberté d’enseignement et    marque une étape importante pour le développement du nombre des écoles primaires, la loi Falloux (1850) qui reconnaît la liberté d’enseignement dans le secondaire tout en donnant à l’Église catholique un rôle déterminant en matière scolaire, il faut attendre 1881-1882 pour l’école devienne gratuite, laïque et obligatoire pour les enfants de 6 à 13 ans[viii].

On remarque une certaine tendance de la revue à parler de « l’ailleurs », que ce soit dans les colonies françaises ou non, avec des récits de voyageurs, de missionnaires, c la description des mœurs des populations locales, chrétiennes ou non. Après 1900, on trouvera également la contribution de la Société biblique britannique et étrangère, mentionnant diverses petites anecdotes d’évangélisation – anecdotes venant de colporteurs bibliques, rapportant le dévouement de chrétiens   envers la diffusion de la bible, rapports comptables du nombre de baptêmes ou de conversion au christianisme – en France comme à l’étranger[ix]. La revue était liée aux missions d’évangélisation comme la Société des Missions évangéliques parmi les peuples non chrétiens, établie à Paris, fondée en 1822[x]. La revue s’adressait surtout à un public jeune, mais aussi à leur famille, ces récits avaient donc un but autant informatif (avec des chiffres, des noms) que sensibilisateur, envers un public amené également à « répandre la Parole de Dieu »[xi]. Enfin, la dimension patriote occupe une grande place, notamment dans les reportages, qui présentent les territoires nouvellement acquis de la colonisation française, comme avec Tahiti, en 1880,ou encore le Sénégal, en septembre 1881[xii]. Cette dimension patriotique est également présente dans les morceaux choisis de poésie, les historiettes, ou les récits biographiques des grandes figures du « roman national » (Vercingétorix, Jeanne d’Arc notamment).

Après 1900, le déménagement de la revue à Toulouse semble marquer une nouvelle rupture. Le format de la revue reste l’in-4, mais la revue semble se recentrer sur son public privilégié, les jeunes, en se dotant notamment d’une partie ludique plus importante – avec charades, devinettes, concours de dessins, questionnaires divers, en s’adressant notamment aux jeunes « chercheurs », en évoquant de façon plus régulière les activités liées aux associations de jeunesse apparentées, et cela en allégeant la partie pédagogique (les textes historiques et biographiques, des sciences).

 

Laëtitia Grare

 

[i] Puaux Franck (dir.), Les œuvres du protestantisme français au XIXe siècle, Paris, Comité protestant,  1893, p. 313-317, consulté le 20/03/2020. Url :  https://ent.inthev.fr/Z.AR/EDUC_DOCUMENTS/PUAUX_oeuvres_protestantisme_fr1893.pdf

[ii] Ibid., p. 413-414. Le Comité du patronage des apprentis de l’Église réformée a été fondé en 1853. Le patronage est destiné aux ouvriers – notamment aux enfants d’ouvriers – et « (…) a pour but essentiel de contribuer au bien-être des apprentis et à leur progrès chrétien », ce qui passe par un accompagnement professionnel, un soutien économique et social, ainsi que moral et religieux, par la participation à diverses activités et la distribution de revues protestantes.

[iii] Ibid., p. 313-317.

[iv] L.-R. Delay succède au libraire Risler à la librairie protestante de Paris. Voir également le Catalogue de la librairie protestante de L. R. Delay, successeur de J. J. Risler, rue Basse-du-Rempart, 62, Paris. 1842. Voir également la notice de Henri Servier de la BNF.

[v] Le comité de rédaction,  « Circulaire aux abonnés », L’Ami de la Jeunesse et des Familles, datée du 1er décembre 1855.

[vi] Cabanel Patrick, « De l’école protestante à la laïcité. La Société pour l’encouragement de l’instruction primaire parmi les protestants de France (1829-années 1880) », Histoire de l’éducation [En ligne], 110 | 2006, p. 58.

[vii] Les Écoles du Dimanche du Dimanche étaient une initiative des Églises protestantes et avaient pour but  de palier l’absence d’instruction obligatoire, en ayant particulièrement à coeur l’enseignement de la lecture, afin que chaque enfant puisse avoir accès au texte biblique par lui-même, cet accès personnel à la Bible étant au coeur des préoccupations protestantes.  Ruolt Anne, « L’éducation populaire chez les protestants au début du XIXe siècle. De la fonction de « petite école des deux cités » des premières Ecoles du Dimanche françaises (1814 à 1830) », La Revue réformée, Aix-en-Provence, n° 262, 2012, avril 2012, tome LXIII, également disponible en ligne.

[viii] Pour en savoir plus sur le rôle des protestants dans l’évolution de l’enseignement en France au XIXe siècle, on pourra se référer à deux articles sur le site Musée Protestant, « Les protestants et l’enseignement public », ainsi que « L’enseignement protestant ».

[ix] On se réfère ici au volume relié des années 1908-1910, conservé à la BPF.

[x] Puaux Franck (dir.), Op. Cit., p. 19.

[xi] On se réfère ici au volume relié des années 1908-1910, conservé à la BPF.

[xii] Labes Lauriane, « Le Centre Bermond-Boquié : centre de recherche et d’information sur l’édition francophone pour la jeunesse », Strenæ, 2012, en ligne : http://journals.openedition.org/strenae/598.


Références

Les images sont toutes tirées de L’Ami de la jeunesse et en particulier des exemplaires conservés à la Bibliothèque du protestantisme français sous la cote PER 4° / 57. Retrouvez la notice SUDOC de la revue : http://www.sudoc.fr/039063461

Cabanel Patrick, « De l’école protestante à la laïcité. La Société pour l’encouragement de l’instruction primaire parmi les protestants de France (1829-années 1880) », Histoire de l’éducation [En ligne], 110 | 2006, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 02 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/1346

Dubois Patrick, «Monod « (Mme W.) » », Le dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson : répertoire biographique des auteurs, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2002. p. 109. www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_2002_ant_17_1_7851

Labes Lauriane, « Le Centre Bermond-Boquié : centre de recherche et d’information sur l’édition francophone pour la jeunesse », Strenæ, en ligne, 3 | 2012, mis en ligne le 21 janvier 2012, consulté le 19 mars 2020 : http://journals.openedition.org/strenae/598 ; DOI : https://doi.org/10.4000/strenae.59

Le comité de rédaction,  « Circulaire aux abonnés », L’Ami de la Jeunesse et des Familles, datée du 1er décembre 1855

Minne Samuel, « Le Journal de la jeunesse, année 1878 – Hachette », L’Amicale des Amateurs de Nids à Poussière, le 20/01/2017, en ligne, consulté le 23/03/2020. Url : https://adanap.redux.online/le-journal-de-la-jeunesse-annee-1878-hachette/

Puaux Franck (dir.), Les œuvres du protestantisme français au XIXe siècle, Paris, Comité protestant,  1893, p. 313-317 :  https://ent.inthev.fr/Z.AR/EDUC_DOCUMENTS/PUAUX_oeuvres_protestantisme_fr1893.pdf

Thirion Christine, « La Presse pour les jeunes de 1815 à 1848 ». Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1972, n° 3, p. 111-132, consulté le 20/03/2020. Url : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1972-03-0111-002

Zorn Jean-François,  « La mission sous presse. Journaux et revues des missions protestantes francophones », Histoire et missions chrétiennes, 2007/3 (n°3), pages 163 à 171, consulté le 20/03/2020. Url : https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses1-2007-3-page-163.htm

Sur le site du Musée Protestant :

« La presse protestante au XIXe siècle », consulté le 20/03/2020. Url : https://www.museeprotestant.org/notice/la-presse-protestante-au-xixe-siecle/#les-revues-thematiques-et-dedification

Harismendy Patrick, « Panorama de la presse protestante au XIXe siècle », consulté le 20/03/2020. Url : https://www.museeprotestant.org/notice/la-presse-protestante/

« Les protestants et l’enseignement public », consulté le 02/04/2020. Url : https://www.museeprotestant.org/notice/les-protestants-et-lenseignement-public/

« L’enseignement protestant », d’après VINARD Jean-Claude, Les écoles primaires protestantes en France de 1815 à 1885, Montpellier, 2000. Consulté le 02/04/2020. Url : https://www.museeprotestant.org/notice/lenseignement-protestant/