La clarté de l’Écriture dans le débat entre Érasme et Luther
La controverse entre Luther et Érasme sur la clarté des Écritures condense, avec une intensité singulière, l’un des clivages les plus décisifs de la modernité théologique naissante : celui du statut de la Parole divine comme fondement d’autorité, source de vérité et critère ultime de certitude. Luther, dans le De servo arbitrio (1525), érige la claritas scripturae en fondement de la théologie restaurée : l’Écriture, lue et prêchée, offre aux croyants régénérés par l’Esprit un accès direct aux vérités salutaires, ainsi que la capacité de discerner toute doctrine à la lumière d’une révélation intrinsèquement intelligible. La clarté devient dès lors bien plus qu’un simple argument exégétique : elle est la réponse au procès en hérésie et le socle d’une certitude qui autorise une prédication conçue comme répétition fidèle de ce que l’Écriture enseigne déjà, dans l’économie de sa propre évidence. Érasme, en retour, en déconstruit l’évidence : si la Bible est si claire, pourquoi le désaccord surgit-il dès lors qu’on prétend s’en remettre à elle seule ? Comment expliquer les querelles intestines des réformateurs, la prolifération des lectures adverses, et l’effondrement du consensus doctrinal ? L’alternative s’impose : ou bien la clarté est réelle, et elle aurait dû produire l’unité ; ou bien l’obscurité est constitutive, et elle requiert une médiation, non contingente, mais nécessaire. Deux régimes d’intelligibilité s’opposent : chez Luther, la Parole s’éclaire et s’abrège elle-même dans une logique doctrinale et immédiate ; chez Érasme, elle demeure plurielle, incertaine, et appelle l’autorité interprétative d’une Église garante du sens.