« Chantans & resonnans en vostre cœur au Seigneur » : chansons comme témoignage et outil de conversion

Cet article cherche à saisir le sens général de l’entreprise de publication par Eustorg de Beaulieu de son recueil de chansons, La Chrestienne resjouyssance, en 1546. L’analyse de l’objet éditorial et la reconstitution des démarches que Beaulieu entreprit en vue de son édition à Genève montrent qu’il s’agissait pour lui d’une tentative d’intégrer, pour le moins symboliquement, le groupe des ministres de la première Réformation, auquel appartenait Matthieu Malingre. Peu connu dans les milieux réformés, ayant reçu une formation plutôt superficielle avant de devenir ministre d’une petite paroisse campagnarde, Eustorg de Beaulieu aurait voulu rehausser son prestige en mettant ses compétences musicales et poétiques au service du mouvement de conversion. Il aurait également envisagé de publier son attachement à un certain idéal, héroïque et pluriel, de la Réforme, exprimé par les ministres qui commençaient, dans ces années-là, de prendre leurs distances avec Calvin. Malheureusement, son conflit avec les réformateurs calvinistes de premier plan, tels Pierre Viret et Guillaume Farel, aussi bien que ses déboires personnels, ne lui permirent pas de tirer profit de cette publication. Ses chansons connurent, pourtant, un certain succès : le recueil circula en France et plusieurs chansons finirent par intégrer, une vingtaine d’années plus tard, le corpus de chansons réformées publié régulièrement à Genève.