La « liberté royale » du langage : Paradoxes et révélation divine dans le De servo arbitrio de Luther

La querelle sur le libre arbitre entre Martin Luther et Érasme, cristallisée principalement dans la Diatribe d’Érasme (1524) et le De servo arbitrio de Luther (1525), dépasse le désaccord doctrinal sur la grâce et la volonté humaine. Elle constitue aussi un questionnement sur la nature du langage théologique et sur les limites des structures sémantiques face à la révélation divine. Préoccupé par la cohérence du discours chrétien et le maintien d’une forme de prudence herméneutique, Érasme accuse Luther de formuler des paradoxes tel que celui de la négation du libre arbitre humain, qui prêtent à confusion et mettent en péril la paix dans la chrétienté. Luther, quant à lui, réitère et enrichit ses formules paradoxales comme marque du respect envers la souveraineté absolue de Dieu et la nécessité de subordonner les attentes humaines aux Écritures. En analysant notamment deux « paradoxes » majeurs dans le De servo arbitrio – l’écart entre la volonté divine et le jugement humain, et la « captivité » du libre arbitre soumis à la nécessité de l’immutabilité –, cet article montre comment Luther redéfinit, voire bouscule, les cadres sémantiques habituels. Loin d’être de simples contradictions, ces paradoxes revêtent pour Luther une fonction métalinguistique : ils révèlent la limite théologique du langage humain et réaffirment la primauté de la révélation divine dans la construction du sens théologique.